Etude prosodique de Gifle [...], Kazimir Malevitch

Publié le par An-architecte

Je me propose de procéder à une étude linéaire de l'architecture comme gifle au béton armé, pour percer l'énigme prosodique de cette faconde.


0 - 2 :

  • Reprise de l’allégorie de la caverne platonicienne. (profondeurs ténébreuses du temps, obscurité du continuum temporel)

  • Les avant-gardes furent les premières qui armées d’un flambeau sortir au grand jour.

2 - 5 :

  • Les avant-gardes conçues comme incarnation nouvelle de l’art en lutte pour leur ancrage dans le temps et contre l’ostéoporose de l’historiographie artistique.

5 - 7 :

  • Métaphore, paradoxalement, empruntée au double processus naturel d’éruption et de procréation. (cycle de la vie)

  • Les coquilles évidées sont pulvérisées, mais la coquille subsiste, en tant que, cadre centrifuge d’émergence d’une érection nouvelle.

7 - 10 :

  • Conception progressiste signifiée par la présence de l’adverbe superlatif relatif de supériorité, plus.

  • Les corps des routes, et par extension, de l’art contemporain, sont constitués de béton armé (grande résistance du matériau aux efforts en compression, puissante portance)

10 - 13 :

  • La modernité évolue dans quatre dimensions, pourtant son espace d’exposition est nécessairement tridimensionnel. « Malevitch n’utilisa que très rarement l’axonométrie dans sa peinture, et certains voient dans ses compositions un attachement à la loi monoculairei »

  • Mais une toile de l’exposition « 0,10 » en relève comme un coin d’exception, et il se référa plus tard à cette essai précoce pour expliquer la genèse de ses planites, dont certains projets graphiques sont axonométriquesii.

13 - 16 :

  1. Schéma darwinien de l’homme en marche dans un plan

  2. Considération pour le plan (vision du ciel)

  3. Aspiration transcendantale, élévation vers le divin

  4. 4ème paroi, l’atmosphériqueiii (espace délivré des lois de la pesanteur)

16 - 19 :

  • Le futurisme est le mouvement de pensée de la 4ème dimension (arrachement du sol, victoire sur le soleil, habitation satellitaire) (voir : passage du futurisme au suprématisme dans muséologie suprématiste).

  • Tension au radical du mouvement. Le physicien russe Khvolson dans son article « Principes de la relativité » paru en 1912 dans la revue populaire la Nature nous éclaire : « Nous ne pouvons pas déterminer la forme géométrique d’un corps en mouvement par rapport à nous. Nous déterminons toujours sa forme cinétique. Ainsi nos dimensions spatiales se situent non dans un espace à trois, mais dans un espace à quatre dimensionsiv

  • Changement affectant l’ensemble des choses. La chose étant une acception large de l’œuvre d’art pour Heidegger dans « Holzwege », « la chose est une matière informée [...] Mais qu’est ce que cette choséité qui va de soi dans l’œuvre ? » et s’il s’agissait de l’excitation du premier mouvement d’invention : « l’origine de l’œuvre d’artv » ?)

  • Travail pictural d’expression de la dynamique du béton armé. (Nous sommes en droit de nous demander si l’architecture n’a jamais entrepris de l’exprimer.) Dans  Suprématisme - Le monde sans objet , Malevitch précise son idée : «Si la représentation (du peintre) est spatiale, il la transforme sur la toile en surface plane. Il ne remarque pas alors que sa représentation figurative sur la surface du tableau à sacrifiée des qualités physiques.» En ce sens, les titres des tableaux de l’exposition « 0,10 » sont plus compréhensibles, Malevitch n’y fait état que des deux premières et de la quatrième dimensions comme celles que les sens peuvent saisir, et évince la troisième la désignant comme fictive : « Mouvement de masses picturales dans la quatrième dimension » ; « Dame. Masses colorées de la quatrième et deuxième dimension » ; « Autoportrait en deux dimensions » ; « Masses picturales en mouvement » etc.

20 - 21 :

  • L’art est à la poursuite des progrès techniques accomplis par la machine

  • La posture résolument moderne de Malevitch, à l’image de celle Leger, dément les vertiges hégéliens (« La raison dans l’histoire », « le cours de l’histoire »)et la critique sévère de W. Benjamin (« l’homme à l’heure de la reproductibilité technique »)

  • La délivrance de l’homme par la machine de la tâche répétitive de la reproduction le livre, comme la mer hégélienne, à l’unicité de son expérience.

22 - 24 :

  • Endormissement des ronds de cuir du plein et du délié (littérateurs académiques).

  • Intelligibilité renvoyée à l’échelle de la lettre. (cf. : Malevitch, Cahier I, « A propos de la signification de la Gegenstandslosigkeit chez Malevitch et son rapport avec la théorie poétique de Khlebnikov » de Rainer Crone édité chez « l’Age d’homme »)

  • Le phonème institué comme élément constitutif primal.

  • Absorption de l’art d’écrire dans la considération pour sa fondation.

  • Dans le « Vivier aux juges n°2 » datant de 1912, khlebnikov formule les principes fondateurs de son intention poétique ainsi :

  1. « Nous avons commencé à voir dans les lettres uniquement des poteaux indicateurs pour les mots...

  2. Nous avons commencé à donner aux mots leur contenu d’après leur caractéristique phonétique et graphique.

  3. Le rôle du suffixe et du préfixe a été rendu conscient par nous.»

  • Chlovski a établi dès 1917, dans son article «l’art comme procédé» que la poésie lyrique devait être considérée comme les arts plastiques.

25 - 29 :

  • La musique que Matiouchine composa pour l’opéra « La victoire sur le soleil », qui nous est restée inconnue, rompait certainement, avec la mièvrerie romantique.

  • Seul l’art architectural persiste dans la révérence à des temps révolus.

30 – 31 :

  • L’ordonnancement grec n’est qu’un fardage de la structure, il sert de caution morale esthétique.

32 – 33 :

  • Il s’agit là, sûrement, de chapiteaux d’ordre corinthien ridiculisés comme des modénatures, des fioritures superflus.

34 – 36 :

  • Dénonciation féroce des anachronismes et oxymorons forme/fonction.

37 – 38 :

  • Survivance désuète d’un style obsolète.

39 – 41 :

  • Allégorie de l’éclosion d’un matin du monde.

  • Malevitch vitupère contre l’outrancier cadavre putrescent (le style russe), qui s’étend comme du fumier sur le champs.

  • Paradoxe : « les champs » d’un pays rural dans « notre siècle rapide ».

41 – 45 :

  • Réveil de Lazare d’entre les morts.

  • Il s’effraye des progrès accomplis depuis sa charge d’évêché à Marseille.

45 – 47 :

  • Les modes de locomotions modernes mesurent le gouffre civilisationnel et lui font l’aumône d’un kopek chacun.

48 – 49 :

  • Remarquons le caractère burlesque du contraste.

50 – 51 :

  • Reprise de l’image de la charge ; Lazare perd une dimension, alors que dans le même temps les futuristes en explorent de nouvelles.

52 – 53 :

  • Ceux qui par leurs incantations avaient ramenées Lazare à la vie sont chargés d’être ses fossoyeurs.

54 – 55 :

  • Un macchabée ne peut constituer qu’un obstacle, en aucun cas un rival pour le corps du monde nouveau.

56 – 57 :

  • Vos efforts sont vains et infécond.

58 – 60 :

  • L’imagination infantile (au sens de la maladie ?) des architectes les amènent à penser dans leur insondable ignorance, que l’artifice de la parure suffit à ranimer un corps de bâtiment. Nous ne résisterons pas au plaisir de signaler une nouvelle résonance stirnérienne : « Il se borna à poursuivre dans l’âge mûr ces sentiments puérils qu’il avait reçus dans l’enfance et gaspilla ses forces d’homme à orner ces puérilitésvi».

  • Malevitch épouse une posture perretienne, celle du prima structurel.

  • La dissimulation par l’ornementation n’est qu’un leurre, et seul leur concepteurs s’y laisse prendre.

61 - 62 :

  • L’infructuosité de la recherche architecturale qualifie ceux qui s’y appliquent de profanateurs.

63 – 65 :

  • Logique Logomachique, Malevitch engage une controverse et s’en prend vindicativement et nominativement aux architectes rétrogrades de son temps.

  • Il accuse leurs réalisations de trahir leur absence de don.

66 – 69 :

  • Récurrence de l’adjectif « rapide » (4ème occurrence)

  • Les machines sont célébrées pour leur pouvoir d’émancipation.

  • « La vitesse c’est notre siècle », On sent poindre comme une contradiction : la vitesse de 100 années ?

70-72 :

  • Malevitch raille incisivement les velléités conservatrices qui travestissent la vitesse contemporaine de la «robe» sans « légèreté » ni délicatesse d’un animal disparu depuis l’aube de notre ère quaternaire et s’insurge contre cette forme de patrimonialisation inadaptée au rythme moderne.

73-77 :

  • Retour au thème de la pesanteur, et poursuite du vestimentaire comme métaphore du paradoxe temporel.

  • Il s’agit de l’habillage de notre temps de ce qu’il offre à voir immédiatement, pas de ses fondements.

  • Violente stigmatisation d’une historicité factice et de la résurgence d’un patrimoine culturel anachronique. Invitation à l’annihilation de ce dernier par autodafé.

78-80 :

  • Première occurrence d’apparition de la première personne du singulier. Malevitch s’engage comme habitant et implique, par-là, tous ceux qui comme lui sont moscovites, lui, narrateur partage leur opinion à tous.

  • La proposition suivante dispose que «l’immense » capitale est constituée d’une matière charnelle : l’architecture et que cette matière doit se régénérer au moyen d’une sorte d’automutilation, d’amputation de ses organes invalides.

  • « Destruction du pouvoir d’Etat », cette « excroissance parasitaire » ; « amputation », « démolition » de ce pouvoir ; c’est en ces termes que Marx jugeant et analysant l’expérience de la Commune, parle de l’Etatvii, et c’est avec le même vocable que Malevitch rase les villes sédimentées, mais les villes ne sont-elles pas, par essence, la matérialité d’un art politique (Mégalopolis) ?

  • Pour Max Stirner, « à notre époque tous changements n’ont été que réformes ou améliorations, nullement destruction, absorption, anéantissement. La substance, l’objet, reste, toute notre agitation n’a été qu’activité de fourmis [...] cette activité mérite le nom de scientifique, parce qu’elle travaille sur une base immuable, sur une hypothèse inébranlableviii ».

81-82 :

  • Réapparition de l’image de la procréation,  « la maison nouveau-née » est à naître, et ainsi la ville en devenir.

  • En revanche, on ne peut que l’appeler de ses vœux et le peintre en est réduis à l’expectative comme en témoigne l’emploi redoublé du verbe : attendre.

83-88 :

  • Malevitch caractérise le procès, sans audace, d’aménagement urbain qui l’amène immanquablement à avoir « un train de retard » si l’on me passe l’expression.

  • Une fois de plus, il qualifie cet urbanisme de cadavérique et se gausse macabrement de ces architectes profanateurs de tombes qui pensent faire illusion en structurant, selon des techniques constructives modernes, les corps en décomposition de bâtiments mort-vivants. « C’est le principe de la médiocrité, du juste milieu, aux yeux du bourgeois le « novateur » fait un métier ingrat, seul le boutiquier est pratiqueix .

89-93 :

  • Quand la caducité de la gare de Kazan fut indéniable, la raison réclamait une structure en adéquation avec le développement galopant des chemins de fer.

  • Les temps nouveaux, matérialisés par la locomotive, assaillent l’édifice qui pour les accueillir s’efforce de gigantisme.

94-95 :

  • En retour, les trains manifestation de la « puissance » consentiront à la filiation et le constructeur démiurgique apparaîtra, à son tour, comme l’obstétricien de cette grandeur-matière.

96-99 :

  • Mais au lieu de cet illustre personnage, c’est un médecin légiste qui, petit voyageur, est allé consulter la liste de la morgue.

100-101 :

  • La ville de Moscou, considérée comme une, sanctifia la gare née de son sein, alors que le singulier de ses habitants la réprouve.

102-103 :

  • Ce constructeur aurait voulu réhabiliter l’idée d’une nation une et indivisible, réaliser une gare de fédération culturelle nationale, et finalement n’offrit qu’un hybride compromis insipide.

104-107 :

  • Déferlement de questions à l’adresse des commanditaires qu’on jurerait frappés de cécité ; ignorent-ils tout de la vitalité d’une gare et de ce qui l’anime ? Feint de s’interroger Malevitch.

108-111 :

  • Il métamorphose les bruits en cris et prête la vie à tous les objets de cet univers, en y incorporant finalement « des voyageurs ».

112-116 :

  • La réponse ne se fait pas plus attendre et la sentence tombe ; à n’en pas douter les propriétaires s’attendaient à ce que leurs chemins de fer soient mortifères et à ce que leur constructeur prononce un éloge funèbre à « l’art national » et couvre la dépouille du linceul de la modernité

117-120 :

  • Malevitch reprend ses vues, la gare est comparée à des édifices d’ingénierie civile, puis dans une envolée lyrique métaphorique, il tisse un parallèle avec les différentes fonctions d’un organisme humain et notamment la circulation sanguine.

121-126 :

  • Insistant sur la vélocité de l’activité y régnant, Malevitch fait de la gare, la respiration, puis la gueule de la ville. ( Image qu’Eustache lui empruntera, pour la scène du « Train Bleu » dans « La maman et la putain ».)

  • On y entre quand elle inspire, on en sort quand elle expire.

  • Les voyageurs ne sont que des micro-organismes à son échelle.

127-134 :

  • Bruits progressivement plus animaux.

  • Une fois de plus l’image du volcan et le thème de la pesanteur.

  • Cet univers accroît la malléabilité de la notion temporelle.

135-136 :

  • Une énième fois l’idée d’une gare volcanique, éruptive identifiée au mouvement permanent d’un flux aquatique continu.

137-138 :

  • Comment est ce que cet ensemble peut être couvert du toit décrépissant des temples d’un autre temps ? Semble-t-il s’exclamer

139-140 :

  • Les matériaux nouveaux souffrent de la disparité anachronique de leur mise en œuvre.

141-145 :

  • Les locomotives sont vieillies par l’obsolescence de l’édifice.

  • La cerise sur le gâteau serait que des muralistes fardent le béton immérité de leurs mièvreries sirupeuses.

146-149 :

  • Les avant-gardes doivent être entendues ici comme les révoltés.

  • Malevitch exhorte à l’épuration « des champs révolutionnaires », il faut se défaire de toute déférence aux temps anciens et n’y voir que leur déliquescence.

  • Toute création doit se prévaloir d’un souci de contemporanéisation, à savoir être en osmose avec leur temps révolutionnaire et mériter, par-là, ce même qualificatif.

150-156 :

  • Le mouvement doit s’accomplir rien ne doit l’entraver, nous ne sommes qu’au présent, mais nous le sommes entièrement et nous devons, l’admettant comme une certitude, nous projeter, lancer un effort de présentification (bergsonnienne) immédiate et toute construction ne doit être qu’un jet perspectif dépourvu de toute génuflexion traditionaliste pour qu’enfin émerge les formes d’un nouvel être au monde.

  • « l’artifice » pour Stiner, « est de prendre les hommes non comme ils sont mais comme ils sont appelés à être x». Ce point d’achoppement met en évidence les divergences de deux influences philosophiques qui s’exerceront sur Malevitch, pour sa part, Nietzsche n’a de considération que pour « l’homme en devenir ».

157-158 :

  • Le travail du créateur est d’ensevelir par sa formalisation présente les formes anciennes dans un mouvement de négativité adornienne.


159-161 :

  • Levée, voire envolée des formes de son temps.

  • Utopie architecturale de Georgi Kroutikov.

162-164 :

  • L’architecte d’aujourd’hui sera celui qui, sans s’en référer aux ordonnancements d’il y a trop longtemps, et d’un don puissant (nous comprendrons l’adjectif comme relatif à la « Macht » stirnerienne), instaurera un nouveau code esthétique.

165-167 :

  • L’impensable réalisé est vôtre assignation, travaillez d’après le réel pour vous en extraire, mais surtout ne réhabilités pas les vieilles croyances révélées.


chemin

 

i cf. : « Axonométrie » de Yve-Alain Bois dans architecture et arts plastiques (aux éditions Corda, 1979 ; Paris)

ii Voir Hulten (Pontus), Malévitch, (Paris, Musée national d’art moderne du centre Georges Pompidou, 1978). P15

iii cf. :« l’institution de la paroi » de Hubert Damisch dans architecture et arts plastiques ‘aux éditions Corda, Paris, 1979).

iv Cité d’après Rainer Crone dans Cahier Malevitch N° 1, (Lausanne, L’Age d’Homme,1983) p.65

v Martin Heidegger, Les Chemins qui ne mènent nulle part (Paris, Tel Gallimard, sept 1999) p. 25

vi Max Stirner, L’Unique et sa propriété (Traduit et préfacé par E. Reclaire, Stock, 1900 ; Traduction et postface d’Henri Lavisgne aux Editions de la Table Ronde, Paris, 2000) p. 76

vii Cité d’après Lénine, l’Etat et la révolution (Paris, éditions sociales,1969) p.71

viii Max Stirner, L’Unique et sa propriété (Traduit et préfacé par E. Reclaire, Stock, 1900 ; Traduction et postface d’Henri Lavisgne aux Editions de la Table Ronde, Paris, 2000) p.79

ix ibid., p.126

x Ibid., p.352

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